Aperçu de la mise en œuvre des droits de l’enfant en Suisse
Les droits de l’enfant constituent un important cadre de référence pour le travail avec le s enfants et les jeunes, mais comment s’assurer qu’ils sont respectés? Et que disent les études récentes sur la mise en œuvre de ces droits en Suisse? Cet article présente un aperçu de l’état actuel de la recherche en la matière.

Qu’entend-on par «droits de l’enfant»?
En Suisse, les enfants et les jeunes évoluent dans différents lieux de vie: ils vivent au domicile de leur famille (d’accueil) ou dans une institution, vont à l’école, passent leur temps libre avec des ami·es ou au sein d’un club sportif et résident dans une commune. Une question se pose alors: quel est l’état de santé des enfants et des jeunes qui fréquentent ces lieux de vie? Comment grandissent-ils, quelles sont leurs principales préoccupations et comment les adultes se comportent-ils envers eux à la maison, à l’école, dans les clubs et dans le voisinage?
Ces questions accaparent actuellement de nombreuses professions et disciplines. C’est ainsi que les pédagogues scolaires travaillent sur l’aménagement de l’école tandis que les professionnel·les du travail social se penchent sur le temps libre et la famille, surtout lorsque les enfants et les jeunes vivent dans des institutions.
Même s’il existe maintenant plusieurs approches concernant le développement des enfants et des jeunes, et donc différents spécialistes de ce domaine, toutes ces personnes disposent désormais, avec la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (CDE), d’un point de référence conceptuel commun précis.
Ce texte, qui comprend 54 articles, a été adopté à l’unanimité par les Nations Unies en 1989 et ratifié par la Suisse en 1997. À l’heure actuelle, 196 États l’ont signé, ce qui en fait le traité de droit international le plus largement ratifié.
Mais qu’englobent les droits de l’enfant exactement? Cette notion étant vaste, sa subdivision en droits à l’encouragement, à la protection et à la participation est devenue un cadre de référence dans la pratique et les politiques publiques spécialisées. Ledit cadre est souvent décrit comme formant la pierre angulaire des droits de l’enfant et permettant d’appréhender ces différents droits aux nombreuses facettes dans toute leur complexité:
- les droits à l’encouragement désignent la promotion du meilleur développement possible et du bienêtre des enfants et des jeunes;
- les droits à la protection soulignent le besoin particulier qu’ont les enfants et les jeunes de bénéficier d’une protection, surtout contre la violence physique et psychique;
- les droits à la participation garantissent aux enfants et aux jeunes le droit à l’information, à la participation, à l’expression et à la codécision pour tout ce qui les concerne, directement ou indirectement.
Il en ressort clairement que les droits de l’enfant permettent de reconnaître, ici et maintenant, les enfants et les jeunes comme des acteurs à part entière de la société, avec leurs idées, leurs opinions et leurs voix propres ainsi que, par conséquent, des droits inaliénables.
Les droits de l’enfant forment donc le cadre normatif du travail avec les enfants et les jeunes, quels que soient leurs lieux de vie,les approches adoptées par les différentes professions et disciplines et des débats qui animent ces dernières. C’est pourquoi les associations et les organisations professionnelles et politiques s’engagent en faveur de leur mise en œuvre (y compris YOUVITA). En pratique, de nombreuses institutions fondent désormais aussi leur travail dessus.
Mais qui vérifie la mise en œuvre de ces droits en Suisse?
Comment la mise en œuvre des droits de l’enfant est-elle vérifiée en Suisse?
La Convention relative aux droits de l’enfant stipule que le gouvernement suisse doit présenter tous les cinq ans au Comité des droits de l’enfant de l’ONU un rapport sur l’état de la mise en œuvre desdits droits en Suisse. Elle invite aussi les ONG à réagir dans ce cadre. Cette procédure se termine par les «Observations finales», qui incluent des recommandations pour une meilleure application de la convention en Suisse. La dernière en date s’est déroulée entre 2019 et 2021.
Indépendamment de cette procédure de rapport étatique, il existe en Suisse un grand nombre de recherches et de débats professionnels donnant un état des lieux de la mise en œuvre des droits de l’enfant et se situant, pour la plupart, à la croisée du droit, de la recherche sur l’enfance, des sciences sociales, du travail social, des sciences politiques et de la psychologie. Ces outils permettent d’analyser les droits de l’enfant dans toute leur complexité et de promouvoir leur mise en œuvre.
Les recherches portent sur les thèmes suivants:
- conditions politiques et structurelles nécessaires à la mise en œuvre des droits de l’enfant en Suisse (Ruggerio et al. 2023);
- analyses des défis actuels posés par la mise en œuvre des droits de l’enfant (Réseau suisse des droits de l’enfant 2021);
- recherches consacrées à certains droits de l’enfant. On peut ici citer les études régulièrement menées par l’Université de Fribourg, sur mandat de Protection de l’enfance Suisse, concernant le comportement punitif des parents en Suisse.
Les droits de l’enfant vus par les enfants et les jeunes
L’exposé de ce qui précède montre qu’en Suisse, la recherche sur la mise en œuvre des droits de l’enfant se concentre avant tout sur les enquêtes menées auprès d’adultes, qu’il s’agisse de responsables politiques, de représentant·es d’ONG et d’associations professionnelles, du personnel qualifié des institutions pour enfants et jeunes ou de parents.
En dépit de ces recherches, le Comité de l’ONU des droits de l’enfant et le Réseau suisse des droits de l’enfant considèrent que le manque de données constitue l’un des plus grands défis posés par la mise en œuvre des droits de l’enfant. Ces derniers ne peuvent que difficilement se concrétiser en politique et dans le domaine professionnel en l’absence de données exhaustives.
Il est en outre frappant de constater que les enfants et les jeunes ne sont actuellement que peu, voire pas du tout, interrogés sur leur perception de la mis en œuvre des droits de l’enfant. On peut donc dire que les recherches menées jusqu’à présent ne mettent que partiellement en œuvre le droit à la participation.
Études suisses sur le point de vue des enfants et des jeunes
C’est la raison pour laquelle la Suisse a vu se développer fortement, en particulier depuis cinq ans, l’axe de recherche que constitue l’étude de la mise en œuvre des droits de l’enfant du point de vue des enfants et des jeunes. Le pays joue ainsi un rôle de précurseur au niveau international.
Voici des exemples d’études mettant l’accent sur la mise en œuvre des droits de l’enfant dans leur ensemble:
- le Rapport sur les droits de l’enfant à l’attention du Comité des droits de l’enfant de l’ONU émis par le Réseau suisse des droits de l’enfant (Réseau suisse des droits de l’enfant 2021);
- le baromètre des droits de l’enfant en Suisse et au Liechtenstein d’UNICEF Suisse et Liechtenstein et de la Haute école spécialisée de Suisse orientale. Ce texte permet aux enfants et aux jeunes de s’exprimer concrètement et d’indiquer, notamment, quelles formes de violence ils subissent où et quelles sont leurs possibilités de participation au sein de leur famille, à l’école, durant leur temps libre et à leur domicile (Brüschweiler et al. 2021).
Il existe en outre de nombreuses études portant uniquement sur certains droits de l’enfant. En Suisse, celles-ci se concentrent surtout sur la participation des enfants et des jeunes: certaines abordent ce thème de manière générale (Rieker et al. 2016) tandis que d’autres portent sur la participation pendant certaines phases de la vie (étude sur les care leavers, entre autres) ou dans divers lieux de vie (études sur la participation dans les institutions stationnaires d’aide à l’éducation ou dans l’espace public, notamment).
La Suisse a encore du retard à rattraper, surtout en matière de participation et de protection
Quel tableau les résultats des recherches menées jusqu’à présent permettent-ils de dresser sur la mise en œuvre des droits de l’enfant en Suisse? L’encouragement, la protection et la participation des enfants et des jeunes sont-ils vraiment suffisants dans notre pays? Quels sont les défis posés, notamment, dans le cadre du travail en institution avec les enfants et les jeunes?
Pour l’heure, on distingue surtout quatre problématiques:
- Les enfants et les jeunes, mais aussi les professionnel·les, ne connaissent pas (suffisamment bien) les droits de l’enfant. La plupart d’entre eux savent que les droits de l’enfant existent mais ignorent quels droits les enfants et les jeunes ont exactement. Il y a un grand besoin d’informations à ce sujet. L’application Kidimo, récemment lancée et disponible en français, en allemand et en italien, et développée en collaboration avec de nombreuses ONG suisses, est un exemple d’outil permettant d’aborder ensemble, au sein des institutions, les droits de l’enfant.
- Les enfants et les jeunes ne participent pas suffisamment aux décisions concernant leur quotidien et leur vie. La plupart du temps, les décisions sont prises par des adultes, qu’il s’agisse des parents ou du personnel spécialisé. Pour que les choses changent, il faut une inscription dans la loi et une coordination entre la Confédération, les cantons et les communes. Sinon, la participation des enfants et des jeunes aux décisions importantes continuera de dépendre uniquement de la bonne volonté et de l’engagement professionnel de chaque institution.
- En Suisse, de nombreux enfants et jeunes subissent des violences physiques et psychiques commises par leurs parents, mais aussi subies dans des institutions comme les écoles et les institutions (du fait, généralement, de leurs pairs et, parfois, du personnel spécialisé). Il convient de sensibiliser davantage le public à ces expériences et d’élaborer des plans de protection ou de les contrôler mais aussi d’étudier les causes de ces violences. Actuellement, des efforts sont déployés pour inscrire dans le code civil suisse l’interdiction explicite de la violence dans l’éducation. C’est le seul moyen de protéger les enfants et les jeunes des châtiments corporels dans notre pays. De plus, l’engagement de toute la population suisse en faveur de la protection des enfants s’en trouverait renforcé.
- À l’avenir, il faudra accorder plus d’attention à la mise en œuvre des droits des enfants et des jeunes vivant des situations vulnérables. Les premiers éléments collectés sur ce point indiquent une absence de prise en compte des droits de ces enfants et de ces jeunes en particulier.
Ce bref état des lieux de la recherche montre qu’un grand nombre de spécialistes et d’associations s’engagent en faveur de la mise en œuvre des droits de l’enfant. Toutefois, les politiques publiques et l’administration ont encore un retard à rattraper pour que ces droits puissent être appliqués de manière uniforme dans toute la Suisse.
Afin de renforcer et de promouvoir les droits de l’enfant et leur mise en œuvre en Suisse, YOUVITA a lancé la plate-forme kidlex. Celle-ci aide les professionnel·les de l’accompagnement extrafamilial des enfants et des jeunes à mettre en pratique les droits de l’enfant. Elle propose des informations, des outils concrets et un chatbot innovant pour le quotidien professionnel.
Mandy Falkenreck est enseignante à l'Institut de travail social et des espaces (IFSAR) de l'OST - Ostschweizer Fachhochschule.
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